
Préambule

L’Eclipse est l’occultation temporaire d’un astre naissant, une interposition.
Cette interposition induit une immersion suivie d’une émersion ; La défection n’est jamais absolue, l’abandon, seulement temporaire.
L’occultation est souvent aussi une médiation puisque l’astre laissé dans l’ombre est en réalité tout ce que l’on devine, l’objet-disparition devient instantanément source d’aspiration. L’absence visuelle rend la présence de l’étoile solaire, ou du satellite lunaire plus prégnante ; on esquisse mentalement la forme, on la pressent, on la soupçonne.
Cette présence-absence est au cœur de la revue que nous fondons ; ici, nulle éloge de l’ombre, ni pensée éclairée de concepts limpides et transhistoriques. Simplement, l’affirmation d’un regard, d’une sensibilité s’interposant entre le public et un choix d’œuvres. Le mouvement d’immersion puis d’émersion nous paraissent nécessaires, non pour couler notre propos de formules ténébreuses ou savantes, mais pour évoquer ce pressentiment ; ce soupçon, cet écho.
Les grandes controverses sur l’art contemporain semblent derrière nous, elles n’ont laissé devant elles qu’un silence gêné, un chacun chez soi taiseux au milieu d’une indifférence générale. Alors que les évènements en lien avec cet art se multiplient, cette prolifération est aussi celle d’un brouhaha où l’on ne s’autorise plus véritablement à converser d’art ; On évoque les ventes, les cotes, les vernissages, les salons, les concours, les styles, les écoles, les évènements, les fêtes mêmes, mais d’art, qui en parle encore ? Il semble y avoir un trouble général, un évitement éclipsé par cette prolifération. Tentons ici de substituer la parole au bruit, non pour qu’elle s’impose ou dicte quoi que ce soit, mais simplement qu’une voix se fasse entendre et qu’une sensibilité s’exprime. Celle-ci a vocation à donner naissance à des échanges ; à renouer avec la critique et la possibilité d’esquisser une faculté de juger. Non pour condamner du haut d’une quelconque chaire, mais simplement pour mêler cette voix à d’autres et permettre la renaissance de dialogues autour de ce que l’on apprécie et de ce que l’on répugne. Le monde de l’art semble archipélisé, et chaque île est une chapelle sans portail. La tentation est ainsi grande que chacun se replie sur son territoire, son petit royaume, ses artistes, son esthétique, sans jamais expliciter ses choix, ses goûts ou même ses raisons d’être.
La revue ne se limitera pas à un genre, un style, un medium ou même une époque ; nous prenons la liberté d’embrasser le disparate, tant que ne disparaît pas le fil s’inspirant en permanence d’une pensée sensible à ce que nous nommons ici une résonance.
La résonance orbitale appelle à une commensurabilité ; un lien invisible. De même la résonance des marées mêlant forces gravitationnelles et d’inertie. Il existe une multitude d’autres forces invisibles, et la résonance porte en elle cette commensurabilité, ce lien sous tensions. La résonance est issue à la fois de la présence des deux corps et du contexte de cette présence, et cette résonance est ce que l’on cherchera à expliciter, non in abstracto, mais dans l’explicitation de ce qu’il semble résonner en nous dans le monde de l’art.
Ygaël Attali
