Parmen Daushvili

Samedi 11 Mars 2023, Londres

Récit subjectif d’une rencontre avec l’artiste,

Dans le quartier calme et huppé de Chelsea se cache derrière l’une de ses façades impeccables, le studio de Parmen Daushvili. Dans les rues de Londres avant de regagner l’atelier de l’artiste, une foule de détails se rappellent au souvenir de son œuvre que j’ai pu découvrir quelques semaines plus tôt à New York à la galerie de Polina Berlin; le décor architectural élégant typiquement anglais, la clarté de l’air, les îlots verdoyants que forment les parcs et squares au coin d’une rue, et cette familiarité diffuse des peintres locaux. Non loin du studio de l’artiste se trouve celui de Francis bacon et la proximité géographique bien que fortuite se révèle pleine d’évidence.
Je cherche parmi les maisons blanches identiques en accolade celle de Parmen. Lorsqu’il m’ouvre à l’étage, des aboiements m’accueillent, ces chiens sautillent dans tous les sens et Parmen, affichant un sourire franc, m’invite à m’asseoir dans un canapé de géant. Lorsque nous pénétrons dans ses lieux, son œuvre semble côtoyer son quotidien. Nous plongeons directement dans son univers pictural et les éléments de son œuvre se révèlent petit à petit ; le beige de sa moquette qui se déploie dans ses compositions comme des plaines, de vastes étendues abstraites, une certaine agilité dans ses gestes qui rappellent l’exécution de ses portraits vifs, une vivacité dans cet accueil chaleureux qui rappellent certaines expressions présentes dans ses autoportraits. L’artiste a bien tenté de travailler à l’extérieur de son appartement mais en vain, et cette promiscuité entre son espace vital et son œuvre, éclaire davantage certaines préoccupations et sujets de prédilections.

Parmen Daushvili, Bicycle Kick, 2019, huile sur toile, 83 7/8 x 66 inches, Photo: Steven Probert

Il n’y a peu de toiles à voir dans son studio suite à son exposition à New York. On peut apercevoir une toile en cours, le portrait d’une femme assise, le visage tourné en direction d’une porte close, un autoportrait accroché au mur, dans l’esprit de ceux de l’exposition, et une grande toile couchée derrière un canapé de velours clair, très fourni de scénettes isolées résumant l’étendue des sujets privilégiés de l’artiste, les scènes d’intérieur, les portraits, les chiots le tout exécuté dans ce style d’esquisses, cher au peintre. Les fenêtres sont occultées par un amoncellement de toiles dont les plus anciennes datent de ses débuts, on peut deviner l’ensemble à partir des parties visibles. Et lorsque l’artiste m’explique comment il procède pour exécuter ses compositions, je ne peux m’empêcher d’établir un rapprochement. Ses toiles sont le résultat de superpositions de matière, d’éléments rajoutés ou effacés. Entre effacement et apparition, les peintures se chargent de cette énergie particulière faite de strates, d’une histoire vécue qui laissent par effet de transparence, une présence fantomatique. Ces aplats de couleurs clairs du font soulignent l’apparition de visiteurs impromptus, corroborent ou non le lien qui se noue entre eux, et au cœur de cela, son fils et lui-même.

Vue du Studio de l’artiste, Février 2023.

Dans le quartier serein et endormi de Chelsea, le peintre s’affaire pendant la nuit. Son travail est constant, lorsqu’il ne peint pas, il songe toujours à ses compositions me dit-il. Il est en permanence absorbé. A la fin de ses sessions de travail, il marche souvent dans Londres seul et il est assez aisé d’imaginer l’artiste déambuler ainsi au petit matin, lorsque la ville se colore d’une lumière brumeuse. Son fils, juge privilégié et protagoniste principal de ses toiles se prête à l’exercice de la traduction et se fait intermédiaire entre nous. A propos de ses toiles, Parmen fait dans la parcimonie d’explications et il est vrai qu’à la vue de celles-ci, beaucoup semble être déjà présent et se passer d’explications trop exhaustives. Elles dévoilent tant, non sans une certaine pudeur, de la vie de son auteur, de celle de son entourage et de son proche environnement. Les scènes de rue évoquent ses déambulations solitaires et tant d’éléments offrent le paysage d’une intériorité bien gardée. La particularité des peintures de Parmen est qu’elles affichent dans une certaine frontalité une intériorité impassible. L’intimité semble toujours se dérober au regard du spectateur en même temps qu’elle se dévoile. La grande maîtrise de l’art du portrait de l’artiste, se camoufle derrière des effacements successifs faisant moins état d’une ressemblance mimétique que dévoilant l’esprit d’un caractère dépeint. Les personnages sont baignés dans un environnement comme liquide, aux couleurs verdâtres et douces, comme enrobés dans une large plage de couleur qui confèrent à ses compositions un aspect iconique et sobre. Nous retrouvons souvent dans cet espace, l’élément de la porte et du bouton d’interrupteur certainement emprunté à Bacon. Celle-ci est souvent close. L’espace confiné est souvent suggéré, comme dans la reprise du motif de la salle d’attente, le paysage perçu à travers la croisée d’une fenêtre. L’extérieur apparaît sous une lueur irréelle à travers de petites scènes qui apparaissent comme des vignettes imaginaires. Les scènes ne sont pas dénuées d’une certaine légèreté et certaines situations prêtent à sourire. L’artiste reprend souvent les mêmes poses, livre des versions différentes de ces ruminations dessinées d’une situation qui offrent une gamme plus élargie de son répertoire.

Parmen Daushvili, Me and My Son (Isle of Dogs), 2019-2020, oil on canvas, 83 7/8 x 66 1/8 inches 213 x 168 cm / Photo: Steven Probert
Francis Bacon, Self Portrait, 1977, Lithograph,84,5x63 cm

Et pendant que nous échangeons, une petite tortue patauge dans son aquarium. Nos paroles ne perturbent en rien sa nage langoureuse et lente. Il règne dans l’atmosphère qui entoure les personnages de l’œuvre de Parmen, quelque chose du même ordre que cette nage timide et silencieuse, une forme de tranquillité dépouillée, une élégance modeste. De petits formats aux tons aquatiques encadrent cet aquarium et j’y aperçois le crocodile vu à New York en grand. C’est alors qu’en regardant ensemble les peintures que l’artiste songe à une nouvelle composition dont il effacera les éléments initiaux . Son fils et moi posons et c’est assez amusant de se prêter à cet exercice avec lui. Une forme de légèreté se dégage de ce moment, et plus tard dans la nuit, un nouveau double portrait naîtra.

L’aquarium, les peintures de l’artiste.

Le lendemain nous nous retrouvons pour visiter la Tate. Lorsque nous arrivons devant le bâtiment en forme de grande usine, Parmen m’évoque son ancien métier de patron d’usine lorsqu’il vivait en Georgie avant sa fuite vers l’Angleterre. Fuite qui l’a contraint à peu voyager en dehors de Londres et dont on retrouve les traces d’un certain repli à l’intérieur de ses toiles. La fuite s’est faite dans l’imaginaire et l’intériorité et a généré dans son travail un imaginaire fécond et rafraîchissant. L’artiste visite très souvent les musées locaux, les galeries. On peut deviner que la découverte de certaines peintures a nourri sa propre œuvre. Il me dit être allé voir plusieurs fois l’exposition de Lucian Freud à la National Gallery par exemple, et on peut voir dans son travail du coloris et de la représentation de la figure humaine, un air familier. Lorsque nous arrivons au musée, Parmen promène un œil furtif sur les salles mais lorsqu’une œuvre retient son attention, il s’arrête soudainement. Aujourd’hui, il s’agit d’un portrait de Modigliani dans les tons bleutés. Le pas agile, nous déambulons ainsi à travers les salles et plus tard il me montrera, une personne assise dans un coin, le surveillant d’une salle dont il a fait un petit tableau. Son attention semble être captée par ce genre de situation mettant en scène une attente, une vulnérabilité imperceptible à un regard distrait.

Nous continuons notre marche lunaire à travers le musée, à un moment, l’artiste évoque l’une de ses compositions, mime le geste qu’il souhaite donner à son personnage et la scène faisant face à la Tamise apparaît comme une mise en abyme d’une de ses peintures.

Amedeo Modigliani The Little Peasant c.1918

Plus tard, nous rentrons et l’artiste finira le portrait énigmatique de cette femme au regard rivé vers la porte.

Parmen Daushvili, Yucca, 2021, oil on canvas, 83 7/8 x 66 1/8 inches 213 x 168 cm / Photo: Steven Probert
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